Paul n'avait pas vingt ans, et goûtait chaque jour les plaisirs de sa nouvelle vie d'adulte. Une vie professionnelle aux débuts incertains, mais dont il espérait qu'ils se révéleraient bientôt prometteurs, un nouvel appartement, des collègues, de nouveaux amis... Une aventure de temps en temps, aussi... Il savourait chaque jour sa jeunesse, et l'appétit avec lequel il parvenait à jouir du temps présent, tout en ébauchant d'ambitieux projets d'avenir...
Il faut croire, pourtant, qu'on peut être gagné par la nostalgie à tout âge... Non que Paul ne manquât d'
acuité ni de discernement, mais il ne résista pas à la tentation en découvrant dans son courrier une invitation des anciens de son collège, dont certains organisaient une soirée de retrouvailles...
Revoir ses camarades de classe de collège, pour certains connus dès le début de l'école primaire... La seule vue des noms et prénoms des organisateurs de la soirée fit rejaillir tout un florilège de souvenirs, d'émotions, de bruits, de saveurs... De même que le parfum des quelques
amélanchiers qui bordaient les abords de la cour du collège, là où l'on fumait en cachette, où les plus chanceux s'embrassaient parfois, là où l'on discutait, où l'on se battait aussi, certains jours... Tout lui revint en mémoire, les meilleurs souvenirs plus clairement que les pires, et l'époque de son adolescence lui sembla dans le même temps riche de savoureux instants vécus, et aussi de toutes les promesses possibles... Bien que la plupart, justement, n'avaient pas dépassé le stade du rêve... Ainsi la délicieuse Amélie, qu'il n'avait jamais perçue autrement qu'en tant qu'une jeune déesse égarée sur Terre...
En quelques jours, Paul se renseigna, passa quelques coups de téléphone pendant lesquels il s'amusa à écouter les voix de ses anciens camarades, et le fait qu'il y reconnaissait plus ou moins des intonations familières à l'époque des ses jeunes années... Il ne parvint pas à joindre directement Amélie, mais obtint la confirmation de sa venue annoncée. D'ailleurs, la plupart des compères de l'époque étaient restés dans la même région, et presque tout le monde avait répondu "présent" à l'invitation des instigateurs d'une soirée qui s'annonçait alléchante, puisque la presque trentaine de convives semblait envisager cette rencontre avec au moins de la curiosité, voire de l'enthousiasme pour les plus optimistes... Peut-être Amélie viendrait-elle seule...? C'était l'hypothèse que Paul retint comme la plus probable, et il se promit de lui proposer une soirée en tête à tête, quand bien même devrait-il pour cela l'assurer de la plus hypocrite façon que ce serait évidemment
en tout bien tout honneur...
Les organisateurs avaient choisi de réunir la petite troupe dans la maison des parents de l'un d'eux. Les parents en question ayant justement été mis dehors pour l'occasion, comme aux plus grands moments des fêtes de leur adolescence. Contrairement à la plupart, Paul avait déménagé pour s'établir à plusieurs milliers de kilomètres de leur lycée, mais il n'hésita pas à réserver pour l'occasion un billet de train, prévoyant d'arriver sur place deux bonnes heures avant l'heure du rendez-vous. Il imaginait déjà mille ruses pour aborder Amélie dès le rendez-vous de la salle des fêtes dans n'importe quelle situation, selon qu'elle arriverait avant ou après lui, seule ou pas, et pour passer toute la soirée avec elle dans n'importe quel cas. Mais elle serait seule, il en était persuadé. Il ne manquerait pas, en cas de besoin, d'user de multiples stratagèmes s'il le fallait pour être assis au restaurant à côté d'elle, ou mieux encore en face d'elle, quand bien même il lui faudrait la séparer d'une éventuelle et improbable escorte de copines. Il prévoyait d'innombrables scénarios tortueux pour tirer le meilleur parti de cette soirée, laquelle se réorganisait sans cesse jusque dans les moindres
méandres de son esprit tortueux.
Il avait tout prévu, et connaissait par coeur jusqu'à la moindre indication mentionnée sur son billet de train. Il avait lu et relu jusqu'à la moindre inscription en caractères de
bas de casse relative à son wagon, son siège, le fait qu'il y pouvait fumer, etc...
Il avait tout prévu sauf la grève improvisée ce jour-là dans les chemins de fer, et le fait qu'il arriverait au lieu du rendez-vous hagard et essoufflé, avec plus de sept heures de retard...
Peut-être les convives s'étaient-ils follement amusés... Peut-être avaient-ils au contraire redoublé d'efforts pour compenser une soirée qui avait peut-être commencé de façon trop tiède au goût de certains... Toujours est-il que Paul dût sonner pendant un bon quart d'heure à la porte avant de voir une improbable silhouette fantomatique lui ouvrir, sans doute entre deux vomissements... Paul découvrit sur les tables et jusqu'au sol des bouteilles d'alcools forts, toutes vides, en quantité si pléthorique qu'elles auraient sans doute suffi à abreuver une armée de cosaques pendant une campagne d'un an. Partout des verres, des assiettes sales, des disques et des cassettes audio en pagailles, et d'innombrables cendriers remplis à ras-bord...
Il s'adressa à la créature qui lui avait ouvert la porte, parce qu'elle semblait plus vivante que les autres, et parce qu'il lui restait peut-être un ou deux neurones en état de fonctionner... Il demanda simplement si Amélie était bien venue. Il s'entendit répondre que oui, mais qu'elle n'était pas restée longtemps. Elle n'avait pas tardé à repartir dès la fin du repas, avec son mari. Paul eut l'impression que le sol se dérobait sous lui.
Il lui fallut se faire violence pour se ressaisir, mais il y parvint tant bien que mal... Il avait raté cette bataille, mais bien d'autres s'annonceraient à lui...
Le thème que je vous propose :
"Après la bataille"
Les mots imposés :
> Acuité
>
Amélanchier (renseignez-vous avant d'imaginer de ce que ça peut être ! :rolleyes: )
> En tout bien tout honneur
> Méandre(s)
> Bas de casse.
Délai :
jusqu'à mardi 27 14h30.
J'attends tous vos textes vos essais, et vos trukalires, avec grand plaisir.
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:zen: