Alors, Partir pour une nouvelle vie donc...
Et les mots:
Doute
Demoiselle
Plume
Voyage
Hacienda.
Ben allons y...
Le contact de l'eau glacée sur son visage lui fit l'effet d'une décharge électrique. Il resta quelques secondes le visage immergé dans le lavabo. A travers ses yeux ouverts, il ne distinguait que le blanc de l'émail, magnifié par les reflets de la lumière sur l'eau, le tout légèrement rougissant au fur et à mesure que le sang qui coulait d'une entaille sur son visage fusionnait avec l'eau... Les deux sources de la vie en une...
Rompant le silence qui régnait autour de lui, il se redressa et contempla son propre reflet dans le miroir. Ses yeux étaient rouges, cernés par la panique et l'adrénaline. Sur sa joue droite s'étendait une plaie ouverte de laquelle coulait encore du sang. Ses yeux, en revanche, d'un noir de jais, avaient perdu leur air hagard et le fixaient à présent, lui renvoyant sa détermination farouche.
Le
doute n'était plus permis. Il devait partir. Et ne jamais revenir. Se détournant du lavabo, il sortit de la salle de bain, s'efforçant de prendre appui le moins possible sur sa jambe blessée, et gagna la pièce principale. Machinalement, il dirigea sa main vers l'interrupteur, mais se retint. Si on voyait de la lumière de l'extérieur, c'en serait fini de lui, et la lumière de la lune lui fournissait un éclairage amplement suffisant pour ce qu'il avait à faire. Il se dirigea vers une étagère, sur laquelle il prit une bouteille de Tequila, avant de se laisser tomber sur le vieux sofa en cuir rouge. Là, enfoncé dans les doux coussins de
plume, il ferma les yeux et s'efforça de réfléchir. Ils seraient là dans moins d'une demi-heure, et par moments, la peur lui faisait entendre le son d'un véhicule brisant le silence de la nuit espagnole.
Il devait partir immédiatement, mais pas question d'utiliser sa voiture, les traces et le bruit le feraient repérer en un instant. Un instant, il maudit la campagne andalouse et ses vastes étendues rendant quasi impossible toute tentative de fuite discrète. Tant pis, il partirait à cheval. Après tout, se dit-il, pas question d'abandonner Urraca aux mains de ces salauds.
Doucement, et après en avoir ôté le bouchon, il éleva la bouteille de cristal au-dessus de lui. Les rayons de lune, filtrant à travers l'alcool légèrement plus épais que l'eau, se décomposaient, formant une myriade de couleurs enchanteresses. Après avoir pris une grande respiration, il inclina la tête sur le côté et versa sur sa joue le contenu de la bouteille.
Douleur...
Dans sa souffrance, il envoya le flacon se fracasser avec un bruit assourdissant sur le carrelage et mordit dans un coussin pendant que des larmes ruisselaient sur son visage.
Petit à petit, la douleur s'estompa, réduite à une pulsation sourde dans la partie droite de son visage. Il se redressa et entreprit de ramasser quelques affaires à la hâte en prévision du
voyage - ou plutôt de l'exil - qui l'attendait: un vieux poncho de laine gris, un sac en cuir dans lequel il fourra quelques vivres, ainsi qu'une gourde et du tabac. Un faisceau de lumière passa furtivement dans son champ de vision et il se précipita à la fenêtre. Au loin, quatre voitures se frayaient un chemin à travers la plaine, leurs phares brillant par intermittence à travers la végétation, tels les yeux malsains de quelque animal maléfique.
Il enfila son poncho, passa le sac sur son épaule et, empoignant son chapeau, sortit dans la cour. La nuit était claire, une de ces nuits espagnoles où l'on pouvait s"allonger et contempler chaque étoile au firmament en humant le doux parfum de l'air andalou. En d'autres temps, cette perspective l'aurait réjoui, mais à présent, il devait se hâter.
Il boitilla jusqu'à l'écurie. Dans la pénombre, il sentit plus qu'il ne vit sa jument, qui hennit doucement en le voyant approcher. Il la sortit de son box et la mena par la bride jusqu'à la cour.
Une chance qu'elle fut déjà sellée, pensa t'il.
Une fois dans la cour, il se hissa péniblement en selle, alors que le rugissement des moteurs se faisait de plus en plus proche.
"Vamos, guapa Señorita"* murmura t'il en espagnol.
Il donna un petit coup de talon et la jument traversa la cour au galop, sauta gracieusement par dessus la barrière de bois blanc, et s'élança dans la nuit noire, pareille à un souffle porté par le vent.
Après quelques minutes de course, une lueur dans son dos le fit se retourner.
Au loin, l'
hacienda brûlait déjà.
* "Allons y, belle demoiselle" en espagnol donc... j'ai un peu triché, mais je voulais un côté exotisant.
Voilà voilà