Une odeur de nausée retenue, de cave mal ventilée, une odeur aigre de cafards écrasés et de chloroforme répandu, une vague d'air vicié me saute à la gorge tel un chien enragé et assoifé de sang. Quelque part derrière moi quelques rayons de lune donnent une lueur blafarde à la scène. Pourtant je ne vois rien de plus qu'une cave à peine poussièreuse, une cave quelconque.
On y trouve épars, les restes d'une étagère vermoulue. Quelques bocaux tombés de l'étagère sont encore intact, ils contiennent des serpents et autres reptiles naturalisés. Il y a une table avec des papiers entassés, des revues scientifiques, beaucoup de notes griffonées, des quantités énormes de dessins que je n'arrive pas à comprendre. Tout autour, sur les murs il y a des scories manuscrites. Un exemplaire du "Arkham Advertiser" daté du 30 avril 1925 est posé sur la table comme si son lecteur s'était levé pour aller aux toilettes. Seulement voilà... Il a disparu depuis 5 ans!
Encore un courant d'air qui me surprend. Cette impression désagréable me reprend...Je sens la sueur qui dégouline le long de mon dos. Il fait un froid mortel, la frayeur me paralyse. Il y a vraiment quelquechose d'anormal. Déjà le reste de la demeure de mon professeur me paraissait bizarre, mais là c'est le comble. Partout ailleur la poussière s'est entassée, la cuisine est inutilisée depuis des lustres, les chambres sont devenues la demeure de rats et autres rongeurs. Partout il y a une odeur d'urine et d'excréments de rongeurs qui vous asphyxie. Mais ici c'est différent. Il y autre chose. Je ne parviens pas à aller au fond de la pièce. Impossible de bouger plus loin que les endroits où retombent les rayons de la lune. Comme si j'avias peur du noir! Encore que ce n'est pas l'obscurité qui m'effraie, mais plutôt ce qu'elle cache...
Soudain du fond de la cave, là où l'obscurité semble absorber la réalité, surgissent deux yeux jaunes. La chose avance rapidement vers moi. Ce regard est effrayant, non par sa mechanceté ou la folie, mais par la froideur qu'il recèle, l'absence totale d'humanité.
C'est alors que je me réveille en hurlant. Je suis en nage dans mon lit. Un vent frais agite les rideaux et vient me caresser. Je me lève rapidement pour fermer la fenêtre et tirer les rideaux. Je ne suporte plus les rayons de la lune. Depuis deux ans je suis hanté par le même rêve. Mes songes luxurieux d'adolescents ont laissé place à de terribles nuits agitées et effrayantes. Notemment lorsque la lune est pleine.
Voilà deux ans que j'ai décidé de retrouver mon ancien professeur et ami, Charles R. Addams. Deux ans que je passe à retarder l'echéance où il faudra que j'y retourne.
Je me souviens de nos longues soirées à discuter de choses et d'autres. C'était un orateur et un chercheur passionné. Il suscitait l'admiration et la crainte parmi les gens qui le cotoyaient.
J'étais pour ma part fasciné par de nombreux phénomènes dits para-normaux et toutes les légendes populaires de la région d'Arkham. J'ai depuis le regret de l'avoir entrainé sur cette pente. Depuis ce fameux soir où je lui ai fait découvrir la collection cachée de la bibliothèque de l'université, il n'a pas passé une nuit sans en étudier chaque ligne. Il étudait les tréfonds des reptiles en jouant à grands coups de bistouri. Depuis cette nuit, son regard a changé, il est devenu plus calme, avec une lueure fraide qui couvait au fond. Je n'aurais jamais dû lui faire découvrir ce pan de la réalité que la plupart d'entre nous refusons de voir. Dans notre dernière discussion il était parti très loin dans son délire, beaucoup plus loin que je ne me le suis jamais permis. Il me parlait de révolution dans l'évolution des espèces, qu'on puvait intervenir sur le cycle naturel, améliorer les choses. Il me parlait des délices du sacrifice pour la science. Je ne l'ai pas accompagné.
Quand je suis allé le voir il y a 2 ans, je ne l'ai pas trouvé. Son jardin était à l'abandon, tout comme la maison. Mais la plupart des insectes et des rats évitaient la cave. J'aurais dû faire comme eux. Je me souviens parfaitement des fenêtres calfeutrées, des odeurs... je me souviens de l'obscurité. Je sais qu'il était là, tapis dans l'ombre. Mais je n'ai pas pu aller vers lui. Je ne sais ce qu'il est devenu et préfèrerais ne pas le savoir. Mais je suis responsable de son état. La prochaine fois que j'irais le voir, je l'aiderais à aller mieux, même si je dois en perdre ma raison.