Diego attacha son vélo à un panneau devant l'immeuble et sonna à l'interphone.
Il attendit de longues minutes avec angoisse, se demandant si il n'était pas arrivé malheur à Romuald. Son coup de fil de ce matin était plus qu'inquiétant, c'était pas le genre de Romy ce genre de délire.
La porte d'entrée du troisième étage était entrouverte, et Romuald couché nu en chien de fusil sur sa couette entortillée de sueur.
"Qu'est-ce qui se passe ? Tu t'es murgé hier soir ? T'as pris des trucs ?... des médocs ?
- Non, balbutia Romuald le regard vide. J'ai rencontré... Elle. Elle dit qu'elle est un nuage.
- ... Ok. Bon, raconte-moi ça. Tu veux une bouteille d'eau ? Tu as froid ?"
Il raconta à Diego ce qui était son rêve, ce que les gens de ce monde-là ne considérerait jamais que comme un rêve, il le savait bien.
"Hé bé mon pote, tu te débrouilles tout seul pour te déchirer la tête, sans une goutte d'alcool, pas de piquouze, de LSD, rien, rigola Diégo, tu te tapes des coups de folie en toute légalité... ! Bon, je vais t'aider, tu vas prendre une douche, après je te fais à bouffer, ok ? T'as l'air pas bien du tout...
- J'ai besoin de toi dans ce monde-là, tu sais ? Tu es mon ami, tu sais ?
- Ouais ouais. Allez zou, dans la salle de bain, tu pues la transpir' !"
Diégo resta tout l'après-midi.
Romuald avait un tout petit peu de fièvre, trente-huit deux, il était incapable de se lever, il avait un peu mangé.
Diégo, lui, s'efforçait de ne pas s'angoisser, il se disait à voix haute que ça allait passer...
Et pourtant quand il entendait les bribes de ce foutu rêve que Romy lui racontait d'une voix douce, il se sentait dépassé, ne pouvait s'empêchait de se dire que c'était plus grave qu'un délire éthylique passager. Qu'est-ce que c'était que ce truc ?
A 20h12, alors qu'il faisait la vaisselle, il entendit son ami crier dans sa chambre. Il bondit et se retrouva face au visage exalté de Romuald.
"DIÉGO ! Je sais qui c'est ! Cette femme !! Je sais qui c'est, tu m'entends... ?"
Diégo, les mains gouttantes de mousse, sentit son cur serré par la peur en contemplant le bonheur fou de ce regard qui semblait si vide.
"Ah ouais ? Et c'est qui ?
- La fille qui habite au sixième ! Elle fait des études, oui : une étudiante, je la croise de temps en temps, tu sais ? Elle est dans une chambre de bonne au sixième. Je vais aller la voir !!
- Hein ? Ah non non non, que dalle, tu bouges pas d'ici. Tu es trop faible. Tu as de la fièvre... !
- Alors vas-y toi, dis-lui de venir, de revenir."
Après une seconde de stupéfaction, Diégo éclata d'un gros rire :
"C'est ça ! Je me pointe, toc-toc, et je lui dis que mon pote d'enfance il a rêvé d'elle, il était dans une cave, qu'elle était un nuage, qu'il lui a détaché les cheveux et après, grosse séance de baise, et que donc, si mademoiselle veut bien descendre ? Mon pote aimerait vous voir... !"
Il avait espéré faire au moins sourire son ami, mais il ne vit pas l'ombre d'un amusement sur le visage livide de Romuald.
"Va la voir. Dis-lui de venir. Elle acceptera..."
Diégo le dévisagea, ne pouvant s'empêcher d'être secoué de pitié.
"Ouais j'y vais. Tu m'attends, hein ? Tu bouges pas ?
- Je reste ici. Dépêche-toi. Elle s'appelle Marie quelque-chose. Au sxième... Je crois que c'est la chambre de bonne au fond à droite. Les autres chambres sont vides, je crois. Dépêche-toi... Merci mon ami, merci."
Diégo, la mine sombre, ne monta pas mais descendit dans la rue. Il se roula une clope, la tête agitée de craintes et d'amertume, les mains tremblantes d'impuissance.
Il s'assit sur les marches d'un immeuble et tenta de réfléchir, de calmer ses peurs, en avalant profondément la fumée... Le vent !
Si après une... Non, on va dire : deux nuits de sommeil, ça n'allait pas mieux, il allait devoir faire quelque chose pour lui.
Prévenir quelqu'un, chercher de l'aide.
Il se voyait mal dire cela à ses parents... "Votre fils a pété un câble. Il est devenu fou."
Il poussa un faible grognement de rage et se releva.
Il monta les marches jusqu'au troisième, et puis continua à monter.
Ça ne rimait à rien, mais il avait envie, une envie conne d'aller frapper à la porte de cette étudiante.
Il avait besoin d'en parler à quelqu'un.
Il se sentait atrocement seul, il avait un besoin stupide de partager sa déroute.
Et puis tant pis, tant pis si son copain allait se taper une réputation de branque !!
Il s'efforça de ne pas trop réfléchir, marcha jusqu'au fond du couloir.
Il frappa en se disant tant pis de toutes façons il faut faire quelque chose.
La porte s'ouvrit et elle apparut, avec un gros pull lâche qui avait vécu, l'air intrigué, les cheveux attachés et un livre dont elle gardait la page avec son index. Il flottait une odeur de thé et il reconnut France Culture.
"Oui ?"
Comme c'était à prévoir s'il avait réfléchi cinq minutes, il se sentit très con, il prit sa respiration et tenta de faire une phrase au moins cohérente si ce n'est crédible :
"Bonsoir, je suis désolé de vous déranger... Je suis un ami de Romuald Thiercy, au troisième. Il... Il ne va pas bien du tout. Il a de la fièvre et... Enfin il tient des propos incohérents. Il parle de vous et voudrait vous voir. Je sais, c'est ridicule, mais j'ai passé la journée avec lui, à son chevet, et là... Je ne sais plus quoi faire. Je crois que je vais appeler un médecin, mais il veut d'abord vous voir..."
Elle ouvrit des yeux ronds.
"Ouais je sais, je suis ridicule, j'aurai pas du venir vous embêter avec ça... Mais là, franchement...
- Il a beaucoup de fièvre ?
- Hein ? Non : 38°2, un truc comme ça. Mais il tourne pas rond. Il est tout faible.
- Il a bu ? Il a pris des drogues ? Même il y a quelques jours ?
- Non non, répondit fébrilement Diégo en se disant que cette fille devait faire médecine, et que en tout cas elle semblait le prendre au sérieux, non, Romuald il ne touche à rien, aucun produits, même pas de médicaments.
- Il a voyagé dans des pays lointains au cours de sa vie ?
- Hein ? Non, non, on est allé ensemble à Londres et Barcelone quand on était jeunes, mais...
- Pas de pays où il y a le paludisme ??
- Ah ? Ah ouais ! Ah non ! Non non."
La fille faisait une drôle de tête et se retourna vers un fauteuil, elle attrapa un gilet et lança à Diégo :
"On descend. A mon avis, vous avez été un peu trop... cool, vous auriez du appeler un médecin dés ce matin. C'est peut-être plus embêtant que vous n'avez l'air de le penser.
- Hein ? Vous pensez à quoi ?"
Elle ferma sa porte et s'engagea d'un pas vif dans le couloir : "Je ne sais pas, une attaque cérébrale, une forme de méningite, je ne sais pas. Mais il faut s'en occuper, ça ça me parait évident !"
Il la suivit sans mot dire, partagé entre l'inquiétude qu'avait déclenché ses paroles et la joie de n'être plus seul face au problème.
Il la précéda dans la chambre.
Romuald poussa un faible cri :
"Tu es revenue !"
La jeune femme jeta un regard à Diégo et répondit : "Oui, je suis là... Comment vas-tu ?
- Je suis là, j'attends que tu me libères à nouveau."
On entendit son souffle oppressé.
"Ne t'inquiètes pas, dit-elle à mi-voix,... Heu... Je suis là ne t'inquiètes pas. Tu as mal quelque part ?
- Tu es la seule qui pourrait me permettre de ne pas souffrir, ne pas souffrir de n'être pas contre toi. Tu sais ?
- Oui, je sais. Je sais. Ne t'inquiètes pas."
Elle sourit et se tourna vers Diégo.
"Il faut que tout se passe bien pour lui, murmura t-elle.
- Oui. Je vais appeler un médecin. Ou le Samu... Vous continuez à parler avec lui ?
- Oui. Je vais me détacher les cheveux comme dans son rêve, ça lui fera plaisir."
Diégo la regarda faire puis se crispa immobile il ne lui avait pas parlé de ce rêve, à aucun moment.
Trop tard.
Romuald dans son lit souriait déjà.
:love: