Je ne sens plus le crochet qui m'attirait dans son trou noir. Mon corps est allongé, il n'est plus plié de douleur. Je peux respirer. Mais quelque chose m'attache à autre chose. Une chose qui fait du bruit, qui souffle, et qui respire lentement. Qui respire à ma place ? Mes doigts tâtent mon poumon, suivent le fil qui part de l'autre côté du lit. J'ouvre les paupières. Le lit est grand, partout autour, des machines. Certaines allumées, d'autres éteintes. Celle qui m'aide à vivre est petite, un peu ronde. On dirait un R2D2.
C'est une pièce toute vitrée. Au delà de la vitre, il y a une autre cage stérile, toute en verre. Un homme dort paisiblement. Puis, une autre encore, vide. Une autre encore, avec un autre lit, et une forme allongée dessus. Et derrière moi ? C'est un mur. Je suis dans la première pièce.
A gauche, une porte vitrée. Puis une espèce de guérite, ou un réduit. Une porte battante, qui doit donner sur un couloir écairé. En face des cages vitrées, une fenêtre sans tain. Au fond de la pièce, une porte avec un système de video surveillance, une petite fenêtre au milieu, un voyant rouge. Sur la fenêtre est écrit quelque chose. Je lis à l'envers. Réa C.
Tout d'un coup, le souvenir des dernières heures refait surface. La douleur. Depuis combien de temps avais-je mal ? Le médecin de ville qui blémit en écoutant mon poumon, les urgences de la clinique en face. L'interne, qui me tient un long discours sur ma douleur actuelle, qui n'est rien à comparer de celle à venir. Qu'il ne peut pas m'endormir, au contraire, il faut que je sois bien réveillé. Que je vais ressentir la même douleur qu'un nouveau né, que je vais hurler cette douleur. L'infirmière qui m'attache. Je veux un mord-aux-dents pour après ? Après quoi ? Après que j'aurais crié une première fois !
Non, pas de mord-aux-dents, non.
Puis l'aiguille, le type qui me regarde dans les yeux. Son regard est doux, ses yeux me disent quelque chose comme "allez mon pote, tu vas en chier un bon coup, et après, ça ira mieux". Et la douleur qui me déchire de part en part, je crie à réveiller les patients des services d'anatomie pathologique. Mes muscles se tendent sous les sangles pour hurler. Je ne meurs pas, je vis, et ça fait horriblement mal. J'ai du perdre conscience après.
Une infirmière est rentrée. Elle explique. Elle demande si j'ai mal. Non, pas du tout. Règle deux ou trois trucs.
Puis tu rentres. Tu es belle, mais tes traits sont tirés. Je te demande de m'apporter des livres. Et surtout le Ballard, Crash. Une salle de réa, ça doit être bien pour lire Crash.
Je me rendors. C'est bien, ce truc qui coule dans mes veines. J'en ramenerais bien à la maison, en repartant.
Deux jours. Je m'habitue à la morphine. A cet état gazeux. Cette nuit, le vieux d'à coté est mort. J'ai vu l'équipe essayer de le réanimer, mais rien n'y a fait. Il était déja parti. Je ne l'ai pas vu mourir, je lisais. Une sonnerie s'est mise à retentir quelque part, et tout clignotait dans sa cage.
J'ai regardé sans que les images ne pénêtrent réellement mon cortex. Je suis dans un état ralenti. Une immense ouate, diffuse, laiteuse.
Une fille vient s'occuper de moi. Elle est brune, belle, petite, bronzée. Souriante. Rigolote. Elle me parle, mais je ne sais pas du tout ce qu'elle dit. Ses paroles m'arrivent détachées de leurs phrases, et lorsque j'en saisis le sens, elle parle déja d'autre chose. Je hoche la tête, je la regarde.
Je ne fantasme pas sur les infirmières en blouse blanche. Je faisais mes devoirs dans une salle de garde. Une infirmière, pour moi, c'est une collègue de ma mère. Celle-là est belle, mais je n'arrive pas à imaginer son corps sous la blouse.
Les fantasmes de Ballard occupent tout mon esprit. Je vagabonde dans des voitures cassées, des lits d'hopitaux, des éclairs de phares, des prothèses contraignantes et terriblement excitantes.
Soudain, je bande. L'infirmière fait ma toilette, en fait. Je suis nu sur le lit, elle est en train de passer un gant tiède sur mon pénis. Dressé d'un coup. Amorphe sur mon lit, je suis tout à coup gêné. Je l'entends qui rigole. Elle dit "ça n'est pas grave, ça change de nos infarctus habituels".
Je souris benoitement, je cherche quelque chose à dire, mais les mots ne s'assemblent pas. Et déja, elle sort, en chantonant. Saloperie de morphine.